CamerounOnline.ORG | Le 12 août 2025 au matin, Emmanuel Macron a prononcé des mots qu’aucun président français n’avait osé dire auparavant. Sa voix était posée, mesurée, et dépourvue des euphémismes prudents qui enveloppent souvent les discours officiels sur le passé. Il a qualifié les actions de la France au Cameroun, pendant et après la décolonisation, par leur véritable nom : une guerre. Une guerre menée avec répression, avec une violence calculée, et dont les conséquences continuent de se faire sentir, dans les vies comme dans les paysages, aujourd’hui encore.
L’histoire à laquelle il faisait référence a longtemps vécu en fragments — enfouie dans de vieux dossiers, murmurée dans les cuisines familiales, portée par les souvenirs des rares témoins encore en vie. Elle commence à la fin des années 1940 et s’enflamme dans les années 1950 jusqu’au début des années 1960. Le Cameroun, alors sous tutelle française, s’acheminait vers l’indépendance. L’Union des Populations du Cameroun (UPC), mouvement nationaliste, en devint la voix la plus forte.
La réponse de la France fut rapide et implacable. Les militants indépendantistes furent traqués, les villages soupçonnés de sympathie furent attaqués, et les forêts devinrent à la fois refuges pour les combattants et cimetières pour les morts. Certains parlaient d’« opération de maintien de l’ordre », d’autres de « contre-insurrection », mais pour ceux qui l’avaient vécue, c’était bien une guerre — faite de disparitions, d’arrestations massives et de destructions de communautés.
Le silence qui a suivi
Pendant des décennies, le récit officiel français a relégué cette période à une note de bas de page dans l’histoire de la décolonisation. L’Algérie dominait alors l’actualité et, plus tard, la mémoire collective. Le Cameroun, lui, disparaissait des conversations publiques, absent des manuels scolaires et des commémorations.
Mais le silence n’est jamais neutre. Il laisse à ceux qui ont subi la violence le fardeau de la porter seuls, sans reconnaissance. Au Cameroun, les familles se transmettaient l’histoire de pères jamais revenus, de mères ayant perdu leur maison lors de raids nocturnes, d’enfants apprenant trop tôt à craindre le bruit des bottes sur le chemin. En France, des générations ont grandi sans savoir que l’histoire africaine de leur pays comportait une guerre qui n’a jamais été nommée comme telle.
Les mots de Macron et leur portée
En la nommant ouvertement, Emmanuel Macron a brisé ce silence. Ses paroles, bien que brèves, marquent un tournant : elles reconnaissent que l’histoire ne peut être racontée à moitié sans en fausser la vérité. Pour les survivants et leurs descendants, cette reconnaissance n’est pas qu’un symbole ; c’est une validation de leur vécu, un signe que leur réalité compte dans la mémoire partagée.
Pourtant, cette reconnaissance peut sembler incomplète. Des deux côtés, en France et au Cameroun, elle soulèvera des questions. Que doit impliquer un tel aveu ? L’ouverture totale des archives ? Des commémorations publiques ? Des mesures de réparation ? Ou bien restera-t-il une vérité prononcée, inscrite dans un discours mais sans suite concrète ?
Le terrain difficile qui s’annonce
Se réconcilier avec ce passé ne sera pas simple. Il faudra écouter les blessures encore vives au Cameroun et accepter, en France, l’inconfort d’affronter la violence coloniale, non pas comme une idée abstraite, mais comme un ensemble de décisions prises par des dirigeants et des soldats dans un passé encore proche.
Pour l’opinion publique française, cela pourra signifier abandonner l’image rassurante d’une « décolonisation pacifique » et la remplacer par une vérité plus complète, quoique plus douloureuse. Pour les Camerounais, ce pourrait être l’occasion de revendiquer la reconnaissance non seulement des faits, mais aussi de leurs conséquences persistantes.
Le passé, comme le rappelle ce moment, n’est jamais tout à fait passé. Il attend — silencieux, patient — qu’on ose le nommer. L’aveu de Macron n’est pas la fin de cette histoire, mais peut-être le début d’un chemin partagé vers un récit complet, sans omission ni travestissement.