Cameroun, mémoire de sang : l’heure des aveux pour la France

CamerounOnline.ORG | Pendant longtemps, le silence a recouvert l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire contemporaine du Cameroun. Les pages consacrées à la guerre d’indépendance restaient incomplètes, souvent effacées des manuels, reléguées aux souvenirs de familles et aux murmures de survivants. Dans les discours officiels, il n’était question que de coopération, de liens historiques et d’amitié franco-camerounaise.

Mais au début de l’année 2025, une fissure est apparue dans ce récit figé. Une commission mixte d’historiens français et camerounais, après des années de recherche, a remis à l’Élysée un rapport de près de mille pages. Les archives ouvertes, les témoignages recueillis et les preuves accumulées ne laissaient plus place au doute : entre 1945 et 1971, la France avait mené au Cameroun une guerre d’une violence extrême. Déplacements forcés, internements massifs, villages rasés, milices armées pour traquer les nationalistes — autant de faits que l’on ne pouvait plus balayer sous le tapis.

Dans les marges de cette grande fresque historique, un épisode glaçant refaisait surface : l’assassinat de Félix-Roland Moumié. Leader de l’Union des Populations du Cameroun après l’exécution de Ruben Um Nyobè, Moumié avait fui l’acharnement des forces coloniales. Mais l’exil ne l’a pas sauvé. En novembre 1960, à Genève, il fut empoisonné au thallium par un agent du SDECE, le service de renseignement extérieur français. Une opération minutieusement planifiée, aujourd’hui confirmée par les archives, qui montre jusqu’où Paris était prêt à aller pour étouffer la revendication d’indépendance.

Ces faits s’inscrivent dans le contexte plus large de la guerre du Cameroun, qui débuta au milieu des années 1950. Dans les Hautes Terres bamiléké, le napalm brûlait les collines et les maisons ; dans certaines villes, les exécutions publiques servaient d’avertissement. Les estimations varient, mais les historiens s’accordent sur un bilan de plusieurs dizaines de milliers de morts, majoritairement des civils. Et, après l’indépendance en 1960, les opérations militaires continuèrent, souvent menées en coopération avec les nouvelles autorités camerounaises.

Le 12 août 2025, Emmanuel Macron a mis fin à des décennies de déni officiel. Dans une lettre adressée au président Paul Biya, il a reconnu qu’une guerre avait bien eu lieu au Cameroun et que la France portait une responsabilité directe dans les « violences répressives » de l’époque. Il a cité les noms des figures emblématiques tombées dans ce combat — Um Nyobè, Moumié et d’autres — et annoncé l’ouverture complète des archives, le soutien à de nouvelles recherches et la création d’un groupe de travail conjoint pour appliquer les recommandations de la commission.

À Yaoundé comme à Douala, la déclaration a été accueillie avec une prudente satisfaction. Car si la reconnaissance est un jalon historique, beaucoup se demandent ce qui viendra après : des monuments commémoratifs, des réparations, une intégration pleine et entière de cette histoire dans les programmes scolaires ? Ou bien restera-t-elle un geste symbolique, vite absorbé par l’actualité politique ?

Quoi qu’il en soit, ce chemin qui mène des archives poussiéreuses aux couloirs de l’Élysée prouve que l’Histoire, même ensevelie sous des décennies de silence, finit par ressurgir. Et qu’elle ne demande parfois qu’une chose pour commencer à cicatriser : que l’on ait le courage de la regarder en face et de l’appeler par son nom.

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